Comme peu de gens le savent, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) dispose aussi de laboratoires de biologie. Dans ses locaux de Fontenay-aux-Roses, près de Paris, des recherches sont faites sur des “modèles animaux” de maladies infectieuses. Or, plusieurs laboratoires avec le même niveau de sécurité existent dans le monde et des “fuites” se sont déjà produites. Le CEA de Fontenay-aux Roses a-t-il suffisamment informé et pourra-t-il garantir la sécurité des populations riveraines ?
Une campagne de longue haleine
Sans que nous ayons pu rendre compte de toutes nos actions, notamment de contacts avec des personnalités politiques qui ont demandé la confidentialité pour préserver les chances de réussite, nous ne sommes pas restés inactifs.
Dernièrement, de nouveaux éléments nous ont amenés à augmenter notre vigilance. Le 14 mai, Le Monde publiait un article (1) sur l’Idmit (Infectious Diseases Models for Innovative Therapies, nom anglais pour l’infrastructure au sein du CEA pour la création de modèles animaux de maladies infectieuses afin de tester des thérapies innovantes). En 2018, dans “des locaux flambant neuf érigés à la place d’un ancien réacteur nucléaire pour 47 millions d’euros” sont installés des singes dans les deux étages inférieurs. Aujourd’hui, l’Idmit hébergerait “400 macaques crabiers venus de l’île Maurice”, ainsi qu’un laboratoire de biosécurité de catégorie P3 (le niveau maximum étant la catégorie P4). Fort de 80 scientifiques, l’institut aurait basculé 70 % de son activité sur la Covid-19.
Or, précisément dans l’urgence de lutter contre la Covid-19, certains essais cliniques ont été faits sur des patients humains avant la fin des expériences sur des animaux. De quelle utilité sont donc les “modèles” singes ?
Nous apprenons par ailleurs qu’Air France a annoncé son intention de cesser de transporter des primates non humains pour les laboratoires (2). Cette décision pourra-t-elle créer une difficulté supplémentaire pour l’Idmit, qui a déjà mobilisé d’importants fonds publics ?
Continuons à informer
Le 14 juin, André Ménache publiait sur son blog hébergé par Mediapart une tribune intitulée : “Des virus et des singes à Fontenay-aux-Roses” (3). Notre conseiller scientifique braquait les projecteurs sur l’Idmit, dénonçant l’utilisation de singes pour étudier des maladies humaines et le danger de manipuler des virus dans un laboratoire si proche des habitations
L’auteur (Yaroslav Pigenet) de l’article portant ce titre et paru le 26 octobre 2017, est un journaliste scientifique qui rédige des articles dans Le Journal du CNRS. Une recherche dans Pubmed et Google Scholar révèle que cette personne ne possède aucune publication dans les revues scientifiques à comité de lecture.
Nous vous présentons ici quelques extraits de l’article, suivis d’un commentaire du vétérinaire André Ménache, conseiller scientifique d’Antidote Europe :
Le Journal du CNRS :
« … les modèles animaux ont été à l’origine de plus de 70 prix Nobel, et de la plupart des avancées biomédicales des 150 dernières années. »
Antidote Europe :
L’utilisation de modèles animaux constitue le paradigme actuel de la recherche biomédicale. Il est donc évident que si la quasi-totalité des chercheurs (y compris les lauréats du Prix Nobel) se focalisent sur des animaux au lieu de se focaliser sur les données humaines, les avancées biomédicales seront attribuées aux expériences sur des animaux, même si la découverte aurait pu se faire sur du matériel humain (exemples : l’ADN humain, la radiographie, le cathétérisme cardiaque).
Enfin, bien que les systèmes mammifères humains et non humains (et également des invertébrés) puissent partager des processus biologiques conservés à des niveaux inférieurs, ou encore des modules au niveau de l’organisation biologique (le gène Hox par exemple), de tels modules sont insuffisants pour une extrapolation inter-espèces dans le cadre d’une étude à des niveaux plus élevés de l’organisation, tels que les systèmes corporels (50). Les systèmes complexes évolués sont bien plus que la somme de leurs parties et ne se prêtent pas à des méthodologies réductrices de la même manière que des systèmes simples (51). Il est bien connu que les systèmes complexes évolués présentent des propriétés émergentes, rendant l’extrapolation entre différentes espèces animales pratiquement impossible (27). D’après Koch, ces systèmes (le système immunitaire mammifère, par exemple) « se caractérisent par un grand nombre de composants très hétérogènes, qu’il s’agisse de gènes, de protéines ou de cellules. Ces composants interagissent et s’affectent d’une multitude de façons à travers un très large spectre espace-temps, allant du nanomètre au mètre et de la microseconde à l’année » (52).
« Au fondement de toute expérimentation animale, il y a un organisme qui va servir de modèle à un autre, plus sensible, moins accessible ou plus difficilement manipulable. »
Antidote Europe :
Cette phrase représente un non-sens scientifique et démontre que l’auteur ne comprend pas le fait qu’aucune espèce n’est un modèle biologique pour une autre espèce.
L’un des principaux objectifs de la philosophie des sciences est d’éclaircir la signification des termes scientifiques, et de soumettre leur emploi à un examen critique. Le lien à l’article ci-dessous s’intéresse au terme scientifique prédire, et tente de déterminer s’il existe des preuves crédibles démontrant que les modèles animaux peuvent être utilisés pour prédire des résultats chez l’être humain, en particulier en toxicologie et pathophysiologie. La question de savoir si les animaux peuvent être utilisés pour prédire les réactions des êtres humains aux médicaments et autres produits chimiques apparaît comme un sujet très controversé. Or, l’analyse empirique des modèles animaux au moyen d’outils scientifiques démontre l’impuissance de ces modèles à prédire les réactions chez l’homme. Ce résultat n’est pas une surprise à la lumière de ce que nous ont appris des disciplines telles que la biologie de l’évolution et la biologie développementale, la régulation et l’expression géniques, l’épigénétique, la théorie de la complexité et la génomique comparative.
« La biologie moderne s’est construite sur le constat de l’unité du vivant. Le fait que nos gènes possèdent 60 % d’homologie avec ceux de la mouche drosophile et 90 % avec ceux de la souris nous a permis, grâce à l’expérimentation animale, d’élucider plusieurs mécanismes physiologiques fondamentaux et certaines pathologies, mais il reste délicat de postuler que ce qui se passe dans le cerveau d’un poisson ou d’un rongeur modélise parfaitement tout ce qui se passe dans celui d’un humain ; ainsi le recours à des primates modèles est parfois indispensable pour étudier des processus neurobiologiques ou comportementaux complexes, explique le chercheur Jean-Stéphane Joly. Devant le nombre de plus en plus grand d’organismes modèles à sa disposition, le biologiste se doit aujourd’hui de bien s’interroger sur la pertinence de celui ou ceux qu’il va choisir pour répondre à la question qu’il se pose. »
Antidote Europe :
Nous partageons encore plus de notre ADN avec le chimpanzé et pourtant les chercheurs ont abandonné leur « meilleur modèle animal possible » puisque c’est plus facile et moins cher de manipuler des souris et des poissons zèbres que des chimpanzés. Voir le lien suivant :
La faiblesse du taux de transposition des découvertes faites sur des modèles animaux en applications cliniques est mise en évidence par notre compréhension de la biologie de l’évolution et de la biologie des systèmes. Par exemple, Seok et al. (43) ont indiqué que les maladies inflammatoires humaines ne sont pas fidèlement reproduites chez les modèles souris, et ont observé une correspondance aléatoire entre les réponses génomiques murines à l’inflammation et les gènes humains homologues. Mestas et Hughes (44) ont montré d’importantes différences interspécifiques entre le système immunitaire des souris et celui des êtres humains (45), des disparités que Yue et al. ont expliquées par une régulation génique propre aux espèces. On retrouve également de telles différences interspécifiques dans l’utilisation de primates non humains (46, 47). De plus, l’existence de polymorphismes au sein d’une même espèce (en particulier chez l’être humain) a une incidence sur l’évaluation préclinique des candidats médicaments (48, 49).
« Toutefois, bien plus que les interrogations sur la validité et la valeur prédictive des modèles animaux, ce sont celles concernant le statut et le bien-être de l’animal qui, trouvant un écho croissant auprès de la population, ont fini par mettre l’expérimentation animale sur la sellette. »
L’expérimentation animale est également remise sur la sellette par une part grandissante des chercheurs eux-mêmes. L’auteur de l’article ignore visiblement les publications parues dans des revues prestigieuses telles que « La recherche animale est-elle suffisamment basée sur des preuves pour être la pierre angulaire de la recherche biomédicale ? » (BMJ 30 mai 2014) ou encore l’appréciation de Thomas Hartung, professeur de toxicologie, à propos des essais sur des animaux : c’est « tout simplement de la mauvaise science » (Nature 10 novembre 2005).
Le Journal du CNRS :
« Dans le développement de nouveaux médicaments, renoncer à l’expérimentation sur un ou plusieurs modèles animaux revient à reporter le risque sur l’être humain.»
Antidote Europe :
Malgré l’étape réglementaire des tests sur des animaux, les effets secondaires de médicaments sont la quatrième cause de mortalité humaine. Quand il faut évaluer la toxicité des médicaments, les humains ne sont pas des rats de 70 kilos ! Il est temps de dépasser le paradigme actuel d’évaluation de la toxicité des médicaments. La première étape serait de supprimer les exigences réglementaires pour des tests sur des animaux et remplacer ces tests par des méthodes scientifiques du 21ème siècle. Lire la suite sur : https://antidote-europe.eu/humains-ne-sont-pas-rats-70kg/
Le Journal du CNRS :
« Depuis le désastre de la thalidomide, le recours à une espèce « non-rongeur » est devenu obligatoire dans les essais précliniques des médicaments ».
Le recours à deux espèces animales dont un non-rongeur au cours des essais précliniques, parlons-en, justement ! Plus de 9 candidats médicaments sur 10 testés avec succès sur des animaux échouent aux essais sur l’homme. Ce chiffre montre bien les dangers auxquels sont exposés les cobayes humains… puisque, il faut bien le dire, l’expérimentation animale n’évite pas l’expérimentation sur l’homme, elle la précède seulement.
Paris, le 25 avril 2017 – Mme Emily O’Reilly, Médiateur européen, refuse la plainte déposée par les citoyens européens promoteurs de l’initiative « Stop Vivisection ».
Dans sa réponse officielle, reçue par les organisateurs de « Stop Vivisection » le 18 avril, le Médiateur européen affirme que « la Commission a respecté son devoir d’expliquer, de façon claire, compréhensible et détaillée, sa position et ses choix politiques concernant les objectifs de l’initiative citoyenne européenne (ICE) « Stop Vivisection » » (voir lien ci-dessous).
Il ajoute encore : « La Commission souligne que, pour le moment, l’expérimentation animale demeure importante pour la protection de la santé humaine et animale et pour le maintien d’un environnement intact. Tandis qu’on travaille en vue de l’objectif final de la substitution totale des animaux, la directive 2010/63/UE est un outil indispensable au niveau européen pour protéger les animaux qui sont encore nécessaires. »
De telles déclarations sont une insulte à l’intelligence de tout citoyen européen informé sur ce qui se passe vraiment dans les laboratoires d’expérimentation animale.
L’ICE « Stop Vivisection » a été lancée en 2012 et a été l’une des trois seules initiatives historiques à avoir dépassé le million de signatures requises. La Commission européenne a donc invité les organisateurs de « Stop Vivisection » à une audition parlementaire dans laquelle les organisateurs ont été autorisés à parler, au nom de 1.200.000 citoyens européens, pendant un total de seulement 34 minutes au cours d’une audition qui a duré trois heures et demie.
L’objectif principal de « Stop Vivisection » a été de mettre en évidence les dommages catastrophiques à la santé humaine et à l’environnement que peuvent entraîner la recherche et l’expérimentation animales. La faible réponse de la Commission européenne et à présent le rejet du Médiateur européen illustrent la nécessité de porter le débat à un autre niveau, par exemple, celui d’une enquête parlementaire ou autres démarches juridiques.